La maison forte de Boncourt qu’il ne faut pas confondre avec la forteresse de Milandre a des origines médiévales. Les sires de Boncourt, dits d’Asuel, vassaux des seigneurs d’Asuel, ont vécu à Boncourt avant de se disperser à Porrentruy et en Franche-Comté en reprenant le nom « d’Asuel ». Leur manoir a été cédé aux sires de Ferrette, qui ne descendent pas, eux non plus, des comtes de Ferrette dont la lignés s’éteint au XIVe siècle.[1]
L’histoire de cette demeure seigneuriale est particulièrement mal documentée pour la période médiévale et le début de l’ère moderne. Il faut ainsi attendre le commencement du xviie siècle pour rencontrer une première mention la concernant, au demeurant bien imprécise. Selon un inventaire établi les 5 et 6 mai 1614[2], le domaine boncourtois des Ferrette-Liebenstein s’étendait sur plus de 400 journaux de terres et comportait, outre un moulin, deux maisons, l’une ancienne et l’autre neuve, avec granges, écuries, jardin potager et verger (Das alt und neuw gepauwen hauss, sambt der scheünen unnd stall, wie auch kraüth- und baumgarten, wie es aneinandern gelegen). L’« ancienne maison » serait-elle notre maison forte ?
Le 9 août 1638, Victor de Staal (1591-1672), bailli de Falkenstein, achète le domaine à Jean-Jacques de Ferrette-Liebenstein pour la somme de 10 000 florins de Bâle[3]. La famille soleuroise des Staal n’est pas totalement inconnue dans le paysage jurassien, où elle est possessionnée depuis la fin du xve siècle, principalement dans la Vallée de Delémont[4]. Le même Victor de Staal venait également d’acquérir un important fief à Soulce[5]. L’acte d’achat du domaine boncourtois ne fournit aucune indication à propos de la maison forte. Un inventaire dressé l’année suivante se contente de citer « deux grandes maisons, grange, tennement et curtil à l’entour, tant en vergier que curtil, et le tout selon la possession ancienne des seigneurs de Ferrette, contenant environ quatre journaulx, enbely d’une grande quantité de bons arbres »[6].
Les premières années passées à Boncourt par le nouveau châtelain ne sont pas faciles, loin s’en faut : le domaine se trouve dans un état de quasi abandon[7] et la guerre de Trente Ans occasionne de sévères pertes lors des passages de la soldatesque. Il est cependant donné à Victor de Staal, peu avant de mourir, d’admirer la nouvelle maison d’habitation qu’il a fait édifier en 1670[8], vraisemblablement pour remplacer l’ancienne maison forte.
En 1703, le petit-fils de Victor, François-Antoine de Staal et son épouse Marie-Salomé de Roggenbach entreprennent la restauration de leur demeure. Une inscription accompagnée de leurs blasons gravés au-dessus de la porte d’entrée rappelle l’événement. C’est semble-t-il à ce couple qu’il faut aussi attribuer la restauration du grand mur d’enceinte et du portail. D’anciens fossés alimentés par le ruisseau voisin n’ont pas laissé de traces. La présence d’une tour, aujourd’hui disparue, flanquant le côté occidental de la maison d’habitation est attestée par une tradition orale et par des détails architecturaux. Cette tourelle devait en outre servir de pigeonnier[9].
À la fin de l’Ancien Régime, le domaine appartient conjointement à Henri de Staal et à sa sœur Marie-Balbine, mariée au grand bailli François-Charles d’Andlau-Birseck. Si cette dernière émigre, son frère, lui, ne quitte pas Porrentruy où il réside. De ce fait, il peut conserver ses biens qui échappent aux confiscations révolutionnaires. Avec une fortune estimée à 4 878 livres ce qui en fait un des hommes les plus riches d’Ajoie , il est soumis à l’emprunt forcé instauré par la loi du 3 septembre 1793[10]. Henri de Staal, le dernier du nom de la branche jurassienne, meurt le 18 novembre 1809 à Porrentruy[11]. Ne laissant aucune descendance, ce sont ses neveux et nièces qui deviennent propriétaires de Boncourt.
Le 6 février 1815, un bail est passé avec les nouveaux fermiers Jacob Disler et Josef Emenneger, Lucernois d’origine mais résidant à Soleure[12]. D’une durée de 12 ans, le contrat prévoit un fermage annuel de 3 000 francs, augmentant progressivement jusqu’à 3 800 francs lors des trois dernières années. Quelques mois après la conclusion du bail, le 29 juin de la même année jour de la patronale de Boncourt le village est soumis à un pillage en règle par 300 « brigands armés »[13]. Le domaine des Staal subit bien évidemment des dommages et des pertes chiffrés à plus de 3 000 francs[14]. Le bail avec les fermiers lucernois est alors cassé et ceux-ci sont remplacés par deux ressortissants de Porrentruy, Jacques Gürtler et son cousin Fridolin Werdenberg.
Bien qu’originaires d’Allschwil, les familles des nouveaux fermiers sont établies à Porrentruy depuis le milieu du xviiie siècle. Les parents et grands-parents de Jacques Gürtler y exploitaient en effet la ferme que le prince-évêque possédait au Faubourg-Saint-Germain. Le nouveau bail est signé le 28 février 1816[15]. À l’exception d’Henriette baronne de Rinck, absente, tous les copropriétaires sont présents : le baron Conrad d’Andlau-Birseck, « ci-devant gouverneur général de la Principauté de Porrentruy », accompagné de ses sœurs, Odile baronne de Bollschwiller et Lore (ou Éléonore) baronne de Billieux. Le contrat porte sur environ 246 journaux de terres labourables, « d’une maison de maître, remise et grenier au-dessus, de deux bâtiments en granges et écuries, cour au milieu, avec jardin et verger y attenant entouré de mur et vives haies avec les vergers et pré ensemble d’environ 78 fauchées ». Le fermage annuel s’élève à 3 000 francs. L’urgence des réparations à apporter aux bâtiments est mentionnée[16]. Une clause au sujet de la culture des arbres fruitiers mérite d’être relevées : « Les retenants seront tenus d’entretenir les arbres fruitiers dans les vergers près de la maison et du village. Ils devront chaque année faire une plantation de 24 arbres, qu’ils grefferont ou entéront de bons fruits, et remplacer ceux manquants ».
Cinq années s’écoulent et les héritiers des Staal prennent la décision de se séparer du domaine qu’ils cèdent le 26 mars 1821 à leur fermier déjà cité Jacques Gürtler associé à François-Xavier Viénat, inspecteur de l’angal, pour 70 000 livres tournois, ou 46 666 francs de Suisse[17]. Ces derniers acquièrent chacun pour moitié le domaine. Gürtler s’installe avec sa famille dans la maison de maître et Viénat se fait construire au sud de la cour une grande demeure.
Plus de 170 années ont passé sans que l’imposant complexe de bâtiments appelé communément « La Cour », n’ait été modifié. Par contre, le verger des seigneurs de Staal, devenu orphelin de ses arbres fruitiers, accueille depuis peu une piscine couverte.
Romain Jurot et Jean-Paul Prongué, « Les maisons fortes d’Ajoie », dans : L’Hôtâ 22 (1998), p. 56-58.
[1] Ferrette : France, département du Haut-Rhin, arrondissement d’Altkirch.
[2] Porrentruy, Archives de l’ancien Évêché de Bâle (= AAEB), B 237/238, von Staal 3, Litt. B, no 4. L’ensemble du domaine est alors estimé à 10 000 florins.
[3] Ibid., Chartes. sub dato.
[4] Sur cette famille, voir Erich Meyer, Hans Jakob von Staal der Jüngere (1589-1657), Soleure 1981, et Christian Adolf Müller, Remonstein, Bâle 1942.
[5] Meyer (voir note 4), p. 144 et 152-153.
[6] AAEB (voir note 2), B 237/238, von Staal 3, Litt. B, no 5 (daté par erreur de 1619).
[7] Le frère aîné de Victor, Jean-Jacques le Jeune, l’avait pourtant mis en garde lors de l’achat, voir Meyer (voir note 4), p. 144.
[8] Selon une description figurant au-dessus du perron de l’actuel bâtiment.
[9] Le 5 décembre 1699, le nombre des pigeons est limité à 50-60 paires (AAEB [voir note 2], B 239/Ajoie/47, sub dato, art. 10).
[10] AAEB (voir note 2), MT 569, sub dato.
[11] Ibid., AP 18/7, no 100.
[12] Porrentruy, Archives cantonales jurassiennes (= ARCJ), Registre des recettes, Bureau de Porrentruy, vol. 22, f. 133v-134r.
[13] Voir le récit du mémorialiste Guélat : Journal de François-Joseph Guélat (IIe partie, 1813-1824), publié et annoté par Ch.-J. Gigandet, Delémont 1923, p. 107.
[14] ARCJ (voir note 12), Registre des recettes, Actes civils du bureau de Porrentruy, vol. 23, f. 69r.
[15] Ibid., Notaire Favrot, année 1816, no 37.
[16] Le 3 juin 1816, il est procédé à diverses adjudications pour d’importantes réfections à apporter à deux greniers à foin, à un solier, aux écuries, à la pompe du puits et aux toitures des trois bâtiments, voir ARCJ (voire note 12), Notaire Favrot, année 1816, no 102.
[17] Boncourt, Archives familiales Louis Jurot.
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