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La grande histoire
Les fouilles menées dès la fin du XIXe siècle, en particulier celles conduites par l'archéologue Albert Naef (1862-1936), attestent l'occupation du site dès l'Âge du Bronze. Le château de Chillon sous sa forme actuelle est le résultat de plusieurs siècles de constructions et de réaménagements divers. L'îlot rocheux sur lequel le château est édifié constituait à la fois une protection naturelle et un emplacement stratégique pour commander le passage entre le nord et le sud de l’Europe.
L’histoire du château est marquée par 3 grandes périodes :
La période savoyarde
En 1150, date de la première mention explicite du château, les comtes de Savoie contrôlent la forteresse, sur laquelle ils ont acquis ou partagent des droits avec les sires de Blonay, et par là même le passage longeant le lac. Chillon y est qualifié de castrum, preuve, selon l’acception médiévale du terme, de la présence d’un bourg qui lui est associé.
Au XIIIe siècle, les comtes de Savoie conquièrent la plupart des terres du Pays de Vaud morcelé en de multiples seigneuries, prélude d’une domination qui s’étendra aux deux tiers environ de la Suisse romande actuelle. Avec leurs possessions réparties au sud et au nord du massif alpin, ils maîtrisent les deux principaux axes des Alpes occidentales, la route du Mont-Cenis et celle du Grand-Saint-Bernard. Ces deux voies commerciales majeures, reliant l’Italie à l’Europe du nord-ouest, sont sources de profit par le prélèvement de taxes sur les marchandises transitant par leurs terres, en échange de l’entretien des routes et de la protection des voyageurs.
Dressé le long du second itinéraire, le château présente un intérêt économique et stratégique évident. En 1214, Thomas 1er de Savoie fonde Villeneuve, à quelque 2 km en amont du bourg de Chillon, en un lieu assez vaste pour accueillir un péage, des halles pour les marchandises et des équipements portuaires.
Au château même, des grands travaux de reconstruction et d’agrandissement sont alors entrepris, par étapes, à l'initiative du comte Thomas 1er de Savoie (1189-1233) et de ses quatre fils, dont Pierre II, maître du château de 1255 à 1268. Ce dernier est représenté par un clerc de Chambéry, Pierre Mainier, intendant des travaux. Sous Philippe de Savoie, frère et successeur de Pierre, le chantier est confié à Jacques de Saint-Georges, maître maçon et ingénieur, soit un architecte spécialisé dans la construction militaire.
La forteresse abrite la résidence temporaire de la famille de Savoie, et celle, permanente, du châtelain-bailli. A la tête d’un vaste domaine, les Savoie sont appelés à se déplacer constamment pour gouverner, en restant personnellement en contact avec leurs sujets. Ce nomadisme s’accorde aussi au rythme des saisons, certaines demeures étant inhabitables en hiver, d’autres plus propices à certaines activités, telle que la chasse. Le comte voyage, avec faste, accompagné de son entourage immédiat et d’une cohorte de serviteurs et de fonctionnaires. Il emporte avec lui de quoi métamorphoser les lieux de ses étapes, les espaces qui lui sont réservés étant fermés et vides en son absence. La garde permanente de Chillon incombe alors à un châtelain, souvent choisi parmi les membres de l’aristocratie savoyarde. Il commande la garnison, rend la justice, perçoit les droits de péage et les revenus seigneuriaux.
Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, lors du découpage du comté de Savoie en plusieurs bailliages, le châtelain de Chillon cumule ces charges avec celles de bailli du Chablais. Cette circonscription, la plus étendue des Etats de Savoie au XIVe siècle, regroupe des châtellenies situées entre Vevey et Aigle, dans le Bas-Valais actuel et sur la rive sud du Léman (Evian, Thonon). Le château devient un centre administratif et financier de première importance au nord des Etats de la Savoie. Deux bâtiments spécifiques sont alors érigés dans la partie septentrionale du rocher réservée au comte, la domus clericorum (G), dévolue aux tâches administratives, et le bâtiment du trésor (K), affecté à un double usage : conserver en lieu sûr les archives et le numéraire, fruit de la châtellenie et du péage de Villeneuve; le plus souvent, l’argent n’était pas envoyé à la Trésorerie générale de Chambéry mais tenu à disposition pour de futures opérations militaires ou des travaux.
A la fin du XIVe siècle, Chillon est relevé de ses fonctions au profit d’une gestion centralisée à Chambéry. La cour, pour sa part, lui préfère d’autres résidences, comme Le Bourget, Thonon ou Ripaille. En 1436, Amédée VIII, avant d’être appelé à la papauté sous le nom de Félix V, tente de redonner vie au château. Il y envoie son maître des œuvres, Aymonet Corniaux, un charpentier chargé d’entretenir les édifices du Chablais et du pays de Vaud. Il y fait d’importants travaux et modifie le système défensif au sommet des tours et des enceintes. Cet effort reste sans lendemain et Chillon sera délaissé jusqu’à l’arrivée des Bernois.
La période bernoise
Le 29 mars 1536, la conquête du Pays de Vaud s’achève par la prise de Chillon. Les Bernois récupèrent un bien, certes délabré, mais en relativement bon état, car épargné par les guerres de Bourgogne. Le château est converti en centre administratif du bailliage de Vevey et en résidence permanente du bailli. Recruté au sein du patriciat bernois, celui-ci porte aussi le titre de capitaine de Chillon et, en qualité de représentant du souverain, remplit de nombreuses fonctions.
L’ancienne subdivision du château en deux secteurs, l'un dévolu au seigneur, l'autre à l'intendance, n’a plus sa raison d’être et les nouveaux occupants aménagent les lieux à leur convenance, tout en adaptant son système défensif à l’usage des armes à feu.
En 1733, les baillis quittent ce logis isolé et inconfortable, pour s’installer à Vevey. Le château, qui ne répond plus aux nécessités de la guerre, sert dès lors avant tout d’entrepôt. En 1785, on envisage d’en transformer la partie nord en un vaste grenier à blé, mais le projet est aussitôt enterré, peut-être en raison de sa démesure et de l’humidité ambiante.
La période vaudoise
En janvier 1798, des patriotes de Vevey et de Montreux occupent la forteresse sans rencontrer de résistance. Devenu bien national à la Révolution vaudoise, le château échoit en héritage au jeune canton de Vaud, en 1803. Dans un premier temps la vieille bâtisse est laissée en l’état, sous la garde d’un concierge et de deux gendarmes, sans nouvelle affectation précise sinon celle d’entasser poudre, munitions et armes dont on ne sait que faire ailleurs, et de loger des prisonniers.
Dans la mouvance romantique qui redécouvre avec enthousiasme le Moyen Age, une nouvelle image de Chillon tend à s’imposer. En 1762, Rousseau avait déjà attiré l’attention sur le site en y plaçant un épisode de La nouvelle Héloïse, assorti d’une brève allusion à la captivité de Bonivard.
Mais il revient à lord Byron et à son fameux poème The prisoner of Chillon, rédigé en 1816 lors d’un pèlerinage sur les lieux décrits par Rousseau, de lui avoir donné une dimension mythique. A travers ce récit magnifié des souffrances de François Bonivard (1493-1570), prieur de Saint-Victor de Genève, retenu à Chillon pour ses positions anti-savoyardes puis libéré par les Bernois, le personnage historique se mue en symbole de liberté et sa prison s’auréole d'un caractère sacré.
Le château et le paysage qui lui sert d'écrin réunissent les composantes chères à l’esthétique romantique: une silhouette pittoresque, de vieux murs témoins d’un passé terrible et un cadre sublime de montagnes. Ils fascinent écrivains, peintres et visiteurs.
Peu sensibles à cette nouvelle forme de notoriété, les autorités vaudoises transforment l'édifice en 1836-38, pour y loger commodément le matériel de guerre, puis de nouvelles prisons. Le public afflue pourtant, toujours plus nombreux, bien que les salles ne soient accessibles que sous l’œil vigilant des gendarmes, cicérones improvisés, puis de guides plus officiels. Pour faire trembler l’assistance, ceux-ci ajoutent, aux visions des écrivains et poètes, leurs lots de romances et de drames, auxquels on doit aujourd’hui encore le nom de quelques salles.
Tiré de "Promenade au Château de Chillon", Claire Huguenin, Fondation du Château de Chillon, 2008
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