Erigé au bord même du lac Majeur et délimitant au sud-est le cour de l'agglomération d'Ascona, le castello dei Griglioni, s'il ne figure pas parmi les plus vieux châteaux forts du Locarnais, en est l'un des plus curieux, tant pour ce qui est de sa conception architecturale que de son histoire. Au Moyen Age, quatre forteresses ont vu le jour aux alentours d'Ascona, le vaste ouvrage de San Michele, dont les vestiges se dressent au sud-ouest de la localité sur une longue crête rocheuse, le castello dei Carcani aujourd'hui entièrement disparu et qui se trouvait sur la rive, près de l'église SS Pietro e Paolo, et enfin le castello di San Materno, qui occupait un rocher peu élevé proche de la route d'Ascona à Locarno; il en est resté d'importants éléments d'architecture de l'époque romane, en particulier la chapelle domestique et son abside semi-circulaire. Historiquement, le castello di San Michele doit être considéré comme le plus important de ces quatre monuments. Il résulte de fouilles archéologiques que des hommes ont déjà habité sur son éperon rocheux aux époques préhistorique et romaine. Les plus vieux objets découverts datent même du néolothique. La colline de San Michele compte donc parmi les plus anciens lieux peuplés du Sopraceneri. Au haut Moyen Age, la vaste forteresse appartenait aux Duni, une famille noble apparentée aux seigneurs de Muralto, mais les seigneurs de Crello semblent avoir été eux aussi détenteurs de droits de possession. Nous n'avons aucune preuve sûre quant à une prétendue destruction du château de San Michele par les Confédérés au début du XVIe siècle. Les Duni doivent l'avoir quitté au XVIe siècle, les frais d'entretien de ce vaste ouvrage leur paraissant probablement trop élevés. Ils se seraient alors installés dans quelques maisons de la banlieue d'Ascona. La chapelle baroque qui aujourd'hui encore se dresse à l'intérieur de l'enclos du château a été érigée au XVIIe siècle et ses constructeurs ont sans doute remployé des éléments datant du Moyen Age.
Selon les vestiges du castello di San Michele qui nous sont restés, cet ouvrage devait être très étendu. Certaines de ses parties - tours, maisons d'habitation, murs d'enceinte et portes - présentent les caractéristiques architecturales médiévales qu'on retrouve dans les châteaux des environs, de même que dans ceux de Bellinzone et du val Mesolcina. Le castello dei Griglioni quant à lui est d'un tout autre genre. Englobé aujourd'hui dans les bâtiments qui l'entourent, il est difficile à reconnaître dans sa conception originale. Si l'on a bâti sur le terrain qu'il occupait jadis, divisé maintenant en plusieurs parcelles, des maisons modernes, on a veillé à conserver les vestiges moyenâgeux encore debout. Tous portent cependant les traces des remaniements intervenus aux XIXe et XXe siècles. C'est ainsi qu'un étage néogothique pourvu de créneaux altérés a été ajouté à la tour d'angle méridionale. De larges baies ont été percées dans les murs d'enceinte et les fossés qui autrefois ceignaient l'ouvrage - ils étaient encore visibles au siècle passé - ont été comblés. C'est en examinant le plan redonnant la disposition des murs des divers bâtiments de l'ouvrage féodal qu'on se rendra le mieux compte de ce que fut ce dernier. Quelques vestiges des murs originaux ont pu être étudiés en 1967 lorsque, en raison de travaux de construction, des parties du fossé et des fondements de l'enceinte apparurent à l'angle ouest de la cour du château.
Le castello dei Griglioni consistait en un vaste quadrilatère d'environ 41 mètres sur 54. La façade donnant sur le lac, et qui aujourd'hui longe la promenade du lac, touchait autrefois la rive. Des trois autres côtés, le château était entouré de douves, mais avec le temps, celles-ci ont dû se dessécher par suite d'atterrissement, et ce bien avant d'être comblées. Un chemin de passage, transversal par rapport à la ligne du lac, traversait toute la cour du château. Les deux portes percées dans l'enceinte existent encore. Taillées en plein cintre, elles sont encadrées de jambages fort bien travaillés. Les gonds de fer des portes à deux battants et les canaux des poutrelles de verrouillage témoignent, avec les rainures des ponts-levis qui enjambaient le fossé avancé, du caractère défensif des entrées primitives.
Une tour carrée massive s'élevait à chaque angle du quadrilatère formé par l'enceinte. II ne reste de celle du nord que ses fondements, tandis que celle de l'ouest a été démolie jusqu'à la hauteur du bâtiment moderne attenant. La tour du sud est surmontée de l'étage néogothique dont nous avons déjà parlé et celle de l'est, moins haute qu'à l'origine, a au moins conservé quelques pans de ses murailles moyenâgeuses, aux angles marqués par de beaux moellons en bossage et à l'appareil de pierres de taille bien ajustées. D'étroites meurtrières et de petites fenêtres carrées font elles aussi partie du premier ouvrage, ce qui n'est pas le cas de la porte surélevée qui, elle, semble avoir été modifée à un certain moment. Le toit en bâtière est de date plus récente.
Chose étonnante, les quatre tours d'angle ne dépassent pas l'alignement des murs, ce qui les aurait rendues saillantes, mais forment une surface plane avec l'enceinte. Ce genre de construction peu commun n'a pas encore trouvé d'explication. Dans son ensemble, le plan du castello dei Griglioni, avec son enceinte flanquée de quatre tours d'angle, correspond à un type de châteaux de plaine fréquemment rencontré en Lombardie.
Nous ne possédons aucune donnée sûre quant aux constructions moyenâgeuses qui s'élevaient à l'intérieur de l'enceinte. II est en revanche prouvé que des communs se trouvaient de l'autre côté du fossé, au nord-ouest de l'ouvrage.
Le caractère lombard de cette forteresse reflète l'origine de ses constructeurs, auxquels elle doit d'ailleurs son nom. La famille des Griglioni descendait de la noblesse milanaise et c'est elle qui fit ériger ce siège seigneurial près d'Ascona, vers le milieu du XIIIe siècle. Fait intéressant, elle réussit à le conserver jusqu'au XVIIe siècle. Le castello dei Griglioni a donc connu un sort différent de celui de la plupart des forteresses tessinoises qui, au cours des siècles, changèrent maintes fois de propriétaire.
Outre leur château d'Ascona, les Griglioni possédaient nombre d'autres biens au Tessin, notamment dans la partie supérieure de la Léventine. Comme elle ne prit jamais une part active à la politique, cette famille ne fut mêlée à aucun des conflits dont le Locarnais fut le théâtre tout au long du haut et du bas Moyen Age. C'est pourquoi l'histoire du château d'Ascona n'est marquée ni par des sièges spectaculaires, ni par des mutations de propriétaire. Lorsque, au XVIIe siècle, les Griglioni quittèrent Ascona pour retourner à Milan, leur propriété fut partagée en plusieurs lots; c'est ce qui a mené à l'aspect morcelé qu'a aujourd'hui ce terrain, occupé par plusieurs bâtiments.
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