Par Héli LIARD (1979)
Le château d'Oron occupe une position remarquable dans la Haute-Broye, au Pays de Vaud. Solidement assis sur la crête d'un éperon molassique formant un ressaut sur le coteau qui descend vers le ruisseau du Flon, il domine une vaste contrée de ses murailles imposantes et de ses nombreuses tourelles.
La petite forteresse médiévale, construite en vue de la défense militaire, à la fin du XIIe siècle, s'est considérablement transformée et agrandie. Par adaptations successives, au cours de sa longue histoire, elle est devenue peu à peu une spacieuse demeure seigneuriale. Elle abrita d'abord les sires d'Oron, puis les châtelains de Gruyère, parfois certains comtes, les intendants des sires de Montmayeur, les baillis de LL.EE. de Berne, enfin deux familles de riches bourgeois.
Sa situation à la limite de certaines zones d'influences politiques, le déplacement des grandes voies de communications, des circonstances diverses et favorables lui permirent d'échapper aux dommages de la guerre et aux ravages des incendies; elle a donc conservé dans ses grandes lignes extérieures, la silhouette que lui avaient conférée les bâtisseurs du XIIIe siècle.
Ce château reste dans la région un des seuls témoins de cette époque lointaine, puisque tous ses voisins: Illens, Palézieux, Bossonnens, l'Abbaye de Haut-Crêt ont succombé sous les coups et la malice des hommes ou les outrages du temps. Ils sont réduits aujourd'hui à de simples vestiges.
Le pays qui se déroule devant sa terrasse présente les caractères d'une terre de transition et de passage, véritable carrefour entre les bassins du Rhône et du Rhin, entre le Plateau et les Préalpes. Au midi, par-delà les collines arrondies couvertes de sapinières, se creuse la dépression lémanique avec les Alpes du Valais et de la Savoie à l'horizon; au levant, les Préalpes toutes proches se haussent derrière les mamelons qui leur servent de piédestal; au couchant s'allongent les croupes du Mont Jorat, et la vallée, en se rétrécissant, s'enfuit vers le nord entre des pentes boisées.
Venue des marais au-delà de Semsales, grossie par les nombreux torrents et riots descendus des Alpettes ou du Nirmont, la Broye change brusquement de direction sous la commune d'Ecoteaux pour se diriger vers Moudon et Payerne. Elle reçoit sur ce large plateau en forme de cirque le Corbeyron, la Biordaz, la Mionnaz, le Flon, le Grenet, le Parimbot, la Longive. Les coteaux se resserrent, descendent ici et là en falaises; la rivière s'engage dans ce défilé pour n'en sortir qu'à Bressonnaz: elle a quitté la Haute-Broye. Province au climat rude à cause de l'altitude, septentrionale déjà, pleine de charme aussi avec ses villages rangés au fond de la vallée ou dispersés sur les pentes, ses damiers de terres cultivées parsemés de boqueteaux ou entourés de forêts; province qui n'eut jamais d'unité véritable et que se partagent de nos jours les cantons de Fribourg et de Vaud par des frontières où l'imprévu le dispute à la fantaisie.
Des traces, des vestiges, des objets, découverts souvent fortuitement par-ci par-là attestent de l'ancienneté de la population en ces lieux: un menhir à Palézieux, un dolmen à Maracon, des armes et des bijoux de l'âge du bronze ou du temps des Helvètes en différents endroits, preuves rares, mais indéniables.
Avec l'arrivée des Romains, les données se précisent. Les empereurs y font passer une des grandes artères qui, ayant franchi les Alpes par le col du Mont Joux - in summo Pennino - devenu le Grand-Saint-Bernard, conduit par le défilé de Chillon à Vevey pour se diriger ensuite sur Attalens vers Avenches et le Rhin.
L'Itinéraire d'Antonin - IIIe siècle après Jésus-Christ - mentionne sur cette route le relais de Bromago à 9 milles de Vevey - Vivisco - et à 6 milles de Moudon - Minnodonum; La Table de Peutinger qui schématise le réseau routier romain du siècle suivant le désigne également sous l'appellation de Viromagus, avec des distances semblables. Il s'agit donc bien de la même localité, Oron, nom dérivé du celte Uromagus qui peut signifier champ ou marché aux bufs. Une autre voie, moins importante, venant de Lausanne - Lousonna - la traverse pour s'en aller vers les Préalpes.
Les Burgondes qui occupent le pays après la chute de l'empire romain laissent des traces nombreuses dans la contrée; ils y maintiennent ces routes parcourues encore par les convois des marchands, les voyageurs, les pèlerins et... les gens de guerre. Elles continuent d'être utilisées durant le Moyen Age pour perdre de leur importance au profit d'autres acheminements plus faciles ou plus directs dès le début du XIVe siècle. Aussi voit-on de nombreuses maisons fortes, tout au long du premier parcours surtout: Attalens, Bossonnens, Palézieux, Oron, Illens, Rue, peu à peu condamnées à un certain isolement après cette diminution de la circulation, la région ne retrouvant plus dès lors son activité d'antan.
La plus ancienne source qui mentionne le domaine d'Oron est un compte rendu qui relate les délibérations d'un conseil tenu à Agaune (Saint-Maurice, Valais) en 515, sous la présidence de Sigismond, futur roi des Burgondes. Ce texte, appelé acte de fondation de l'Abbaye, confère une dimension et une forme nouvelles à l'institution créée pour honorer la mémoire des martyrs de la légion thébaine; il est accompagné d'une charte de dotation qui accorde aux religieux des biens considérables pour leur permettre d'assurer les services sans qu'ils en soient distraits par les soucis de la vie matérielle. Oron - Curtis Auronum - figure parmi les généreuses donations faites au monastère.
Cet acte de fondation, qui serait en réalité une composition de l'époque carolingienne, est perdu depuis longtemps. Il est connu par des copies diverses dont certaines ne signalent pas toutes les possessions offertes aux chanoines, en particulier Oron. Quelques érudits n'hésitent pas à conclure que des copistes les ont simplement ajoutées à leurs manuscrits pour donner une valeur incontestable d'ancienneté aux droits des moines en les reprenant dans d'autres actes, en particulier dans un diplôme de Rodolphe III, roi de Bourgogne, en faveur de l'Abbaye de Saint-Maurice du 15 février 1017. Ce souverain en effet déclare restituer à l'Eglise d'Agaune " qui est près de faire naufrage dans la mer de la plus misérable désolation " de nombreux fiefs, entre autres la moitié d'Oron.
Le terme de restitution laisserait bien entendre que les moines en avaient été dépouillés mais peut-être n'est-ce qu'une formule pieuse ? Pour l'instant, la question ne saurait être résolue.
Quoi qu'il en soit, l'Abbaye ne semble pas avoir joui longtemps des largesses du roi puisque le pape Léon IX, de passage au monastère en 1050, ordonne que l'on rende aux religieux Oron, ainsi que les églises et biens en dépendant, domaine que de hauts ecclésiastiques leur avaient enlevé (l'évêque de Lausanne probablement).
On ignore si l'injonction du souverain pontife fut entendue et... respectée, par contre on sait que l'Abbaye, au début du XIIe siècle, a recouvré une partie de ses biens et de ses droits dans ces lieux qui comptent beaucoup d'autres tenanciers, d'où source incessante d'échanges, de litiges, de contestations et de conflits.
Elle a édifié dans la ville d'Oron une maison forte avec une chapelle qui subsistera longtemps au bord du Flon sur l'emplacement occupé maintenant par le temple et le champ de foire.
Elle y a installé un vidomne ou mayor, officier administratif et judiciaire, qui, selon la coutume, prend le nom de la terre qu'il gère. Elle a confié d'autre part l'avouerie, c'est-à-dire la défense et la protection de ses intérêts majeurs temporels à la maison déjà puissante des Blonay dont les territoires s'étendent des rives du Léman bien au-delà de Bossonnens.
Un acte de 1137, dans le cartulaire de l'Abbaye de Haut-Crêt, mentionne pour la première fois un mayor d'Oron par son nom. Il s'appelle Guillaume et a désigné un bois que Hugues, prieur de Saint-Maurice, cède à ladite abbaye qui vient de se créer sur le bords de la Broye non loin d'Oron (1134). Il figure également parmi les témoins de cette donation. Dès lors d'autres documents révèlent l'existence de ces vidomnes, tous prénommés Guillaume. Comme la charge est héréditaire, il s'agit sûrement des membres d'une même famille reprenant de père en fils cette fonction rémunératrice.
Bien qu'ils n'apparaissent, durant ce siècle, qu'en qualité de représentants des chanoines, exécutant leurs ordres, assurant la bonne marche des domaines, percevant les dîmes et péages sans intervenir en leur nom propre dans les affaires de la région, ils sont selon toute probabilité les ancêtres de la famille des sires d'Oron.
En effet, un certain Rodolphe, seigneur d'Oron, - dominus - confirme le 12 mai 1215, avec le consentement de sa mère Emma et de sa femme Alice, des cessions faites par son père Guillaume aux religieux de Haut-Crêt. Or ce père ne peut être qu'un vidomne de Saint-Maurice puisqu'il n'existe aucune autre famille de ce nom dans les documents du temps.
Il n'est donc point téméraire d'en déduire que les affaires des intendants se montrèrent singulièrement prospères à la fin du XIIe siècle, qu'ils en vinrent à agrandir leur propriété comme à acquérir d'autres biens personnels et héréditaires. Mieux encore, un peu plus tard, Rodolphe agit en qualité d'avoué de l'Abbaye de Saint-Maurice, haute charge assurée jusqu'alors par les Blonay; il se trouve également à la tête d'une importante seigneurie dont une partie provient de la même famille. Il ne réside plus dans la maison forte du bourg d'Oron où d'autres ministériaux ont pris la place de ses aïeux, mais dans un château qui vient d'être construit sur une éminence toute proche avec le consentement et l'aide des religieux de Saint-Maurice. L'abbaye renforce ainsi la défense de ses territoires sérieusement menacés par la situation politique du Pays de Vaud, spécialement dans cette Haute-Broye, théâtre de plusieurs combats entre la Maison de Savoie et les Zaehringen, luttes qui prirent fin par la paix signée à Haut-Crêt en octobre 1211.
Ces événements ont sans doute permis aux vidomnes, à l'exemple de maints seigneurs, de profiter des circonstances pour se tailler une place au soleil, sans expliquer valablement toutefois leur rapide ascension et surtout la possession des terres appartenant aux Blonay. Certains ont cru voir dans les Oron une branche cadette de cette illustre famille, hypothèse assez fragile et peu fondée, puisque cette parenté n'est jamais revendiquée auparavant. Par contre une alliance matrimoniale paraît beaucoup plus plausible. I1 est donc fort probable que Vaucher de Blonay, seigneur d'Attalens, de Bossonnens, coseigneur de Vevey, avoué de Saint-Maurice, resté célibataire, a, pour des raisons encore inconnues, accordé la main de sa sur Emma à Guillaume d'Oron, armé chevalier. Aussi n'est-il pas étonnant que leur fils Rodolphe soit investi, à la mort de son oncle vers 1224, de toutes ses charges et de tous ses biens. Quoique romanesque, cette version a le mérite de la vraisemblance.
Rodolphe, chevalier et seigneur d'Oron, fonde une famille qui va connaître une grande prospérité durant deux siècles. Véritable chef de race, il déploie une activité intense: il intervient en qualité de témoin dans des règlements de différends, dans des actes de donations, il prête hommage pour certains de ses fiefs à l'évêque de Lausanne ou à son chapitre, pour d'autres à l'évêque de Sion. Il fait construire à Vevey, vers 1236, un nouveau quartier entouré de murailles, entre l'ancienne ville et sa place publique. Selon la coutume, il accorde aux habitants une charte et des franchises avec l'approbation de ses suzerains, de ses voisins, des membres de sa famille, ainsi que du conseil de ses vassaux et prud'hommes bourgeois de la ville.
De son épouse Alice, Rodolphe eut sept enfants: Béatrice, Guillaume, Jean, Rodolphe, Amédée, Pierre et Girard. L'aînée épouse le chevalier de la Roche; Guillaume meurt avant son père vers 1240; Jean, Pierre et Girard entrent dans les ordres. Le premier deviendra chanoine du chapitre de Lausanne, le second, d'abord chanoine à Notre-Dame de Lausanne, puis doyen de Vevey, sera évêque de Sion de 1273 à 1287. Girard passera du chapitre de Lausanne au décanat de Vevey pour occuper, dès 1295, la charge de doyen de Valère à Sion où il meurt en 1309. Par testament, il lègue une partie de ses biens à son neveu Girard II qui reprend sa place à Valère.
Vers 1250, à la mort de Rodolphe 1er, la seigneurie d'Oron se partage entre Rodolphe II qui succède à son père, et Amédée qui reçoit en apanage Bossonnens et Attalens où il résidera désormais, créant ainsi une branche cadette des Oron.
Comme la plupart des seigneurs du Pays de Vaud à cette époque, les Oron font hommage à Pierre de Savoie en 1256.
Rodolphe II ne régnera pas longtemps; en 1267 déjà, il est remplacé par ses deux fils Rodolphe III, seigneur et chevalier d'Oron, et Pierre qui prend la coseigneurie de Vevey.
A l'exemple de leur grand-père, ils se montrent tous deux actifs et entreprenants; I'aîné, qui a épousé Antoinette de Quart, transforme et agrandit le château paternel, tandis que le cadet construit à son tour une nouvelle ville libre sur le territoire des communaux à Vevey; il lui octroie, avec quelques modifications et adjonctions, la même charte de franchises (mai 1290) que celle donnée par son aïeul.
La fortune a souri aux Oron durant ce XIIIe siècle. Bien implantés dans leur coin de pays, ils ont conquis leurs titres de noblesse; de ministériaux d'un monastère, ils se sont élevés au rang de seigneurs, et alliés à de puissantes familles; ils ont étendu leurs domaines, quelques-uns de leurs membres ont occupé des postes importants. Ils possèdent la plupart des terres d'Oron, de Bossonnens, d'Attalens, la moitié de Vevey, des vignobles à Lavaux, le vidomnat de Montreux, Illens, Arconciel, Pont-en-Ogoz. Aussi iront-ils jusqu'à contester l'hommage dû à la maison de Blonay pour différents fiefs veveysans, après la mort du Petit Charlemagne en 1268. Querelle assez vive qui nécessita l'intervention du comte de Savoie, en 1284, pour rappeler aux récalcitrants le sens du devoir, et les obliger non seulement à rétablir la paix mais aussi à réparer les dommages causés, avec restitution d'hommes et d'objets enlevés de part et d'autre!
A Oron, Rodolphe III remet ses biens à son fils unique Girard, qui, dès sa jeunesse, vit surtout en Angleterre où il a rejoint son oncle, le célèbre chevalier Othon de Grandson. Il participe, en qualité d'écuyer, à une expédition en Terre Sainte commandée par ce puissant seigneur, assiste au désastre de Saint-Jean d'Acre (1291) dont il rentre sain et sauf grâce à la conduite héroïque de son parent qui réussit à se réembarquer en sauvant d'autres preux gentilshommes.
Il continue dès lors à servir les souverains anglais (Edouard I, II et III), tantôt guerroyant, tantôt voyageant pour informations ou négociations, recrutant des mercenaires, gérant aussi les fiefs qu'il avait reçus dans ce pays. Dans un message qu'il adresse à Hugh le Despenser, en mars 1324, il lui signale qu'il envoie des lettres à " Mons le Roy d'Angleterre " pour le renseigner sur les résultats d'une mission et a hâte de recevoir une réponse; il précise qu'on pourra l'atteindre à Pâques " ... a ma maison Dorons qui est trois lees près de Losanne ".
Il s'y trouve également en juin 1330 puisqu'il y renouvelle un accord avec l'Abbaye de Saint-Maurice dans lequel sont fixés, avec minutie, les droits et devoirs de chacune des parties, rappelant même des clauses provenant d'actes établis au temps des vidomnes.
Le seigneur d'Oron, avoué du couvent pour cette région, soit son protecteur et son défenseur, reconnaît qu'une partie du château en est mouvante " celle qui se trouve du côté du ruisseau dit le Flon, coulant derrière le château, en entrant par la porte de ce dernier, tendant en droite ligne par le milieu du château jusqu'au mur postérieur de celui-ci qui est du côté du château d'Illens ". Des investigations archéologiques ont révélé que cette ligne idéale correspond à la muraille occidentale, aujourd'hui invisible, de la première forteresse érigée à la fin du XIIe siècle.
Ce document signale en outre que le seigneur de ce lieu recevra honorablement l'abbé du monastère une fois par an, qu'il lui remettra à cette occasion les clefs du manoir, qui seront rendues immédiatement au portier. " L'abbé pourra coucher audit château la nuit du jour où il aura été reçu et devra, lors de son départ, faire don au portier d'un habit neuf " Girard, comme il se doit, prête hommage pour les biens qu'il tient des chanoines.
Dans la branche veveysanne, son cousin Pierre se distingue particulièrement en obtenant d'abord la charge de trésorier du chapitre de Notre-Dame, puis celle d'évêque de Lausanne de 1313 à 1323. Son accession au siège épiscopal se fit à la suite de troubles graves dans la ville, grâce aussi à l'influence et à l'aide efficace du redouté sire Othon de Grandson, son oncle. Il connut un épiscopat tourmenté et difficile à cause d'innombrables conflits. C'est à lui que remonte l'institution de la Fête-Dieu dans notre pays. Dans une chronique de l'époque, son éloge funèbre tient en peu de mots: " Il fit beaucoup de bien selon son temps. "
Son frère cadet Girard n'aura, de son mariage avec Alice de Blonay, qu'une fille, Marie, qui apportera en dot à son époux François 1er de La Sarraz tous ses droits sur les bords du Léman.
Les jours des Oron semblent comptés. Girard, chevalier d'Oron, dit " l'Anglais ", et pour cause, accorde la main de sa fille unique à Jean, coseigneur d'Aubonne.
Tombée en quenouille, la branche aînée des Oron s'éteint vers 1340.
Il appartient aux Oron-Bossonnens-Attalens de prendre la relève au château ancestral par François, arrière-petit-fils de Rodolphe 1er qui s'en revient au foyer de son bisaïeul
Deux mariages, avec Catherine de La Sarraz d'abord, puis Marie de Gruyère ensuite, resteront stériles, bien que la touchante légende de Jehan l'Eclopé lui ait attribué un garçon dans son heureuse conclusion. A la mort de sa femme Marie, en 1383, François d'Oron teste en faveur de son beau-père, le comte Rodolphe IV de Gruyère et de ses deux fils Rodolphe de Montsalvens et François de Gruyère, son filleul.
Le dernier sire d'Oron quitte, en 1388, cette vallée de larmes pour trouver un repos éternel auprès de sa défunte épouse Marie dans le chur de l'église des frères mineurs à Lausanne (Saint-François), où sa sépulture aurait été retrouvée lors de la réfection récente de ce temple.
La seigneurie et les biens de cette ancienne famille vont désormais partager les heurs et malheurs de la maison de Gruyère qui vient d'en hériter.
Grands princes d'un petit royaume, les comtes de Gruyère étaient plus connus pour leur généreuse hospitalité, leur magnificence et leur galanterie que pour leur sens de l'économie. Toujours à court d'argent, ils n'hésitaient pas, pour s'en procurer, à emprunter à gros intérêts, à affranchir leurs sujets moyennant bon paiement, à hypothéquer leurs biens comme à vendre certains domaines. Leur situation, à cette époque, était loin d'être brillante, malgré de nombreux et substantiels héritages. Il est donc normal de les voir céder, en 1396 déjà, les seigneuries d'Oron et de Palézieux à Henri de Montbéliard, seigneur d'Orbe, qui n'en prendra pas possession puisqu'il est tué cette même année dans la bataille de Nicopolis où succombe la fleur de la chevalerie française.
Ses héritiers rétrocèdent les seigneuries au comte Rodolphe qui, malgré des promesses solennelles aux habitants de ne point les aliéner, trouve un nouvel acquéreur en Percival de Royer, d'Asti (mai 1399).
Ce dernier les remet à son tour à Gaspard de Montmayeur, seigneur de Villars-Salet, avec leurs droits de haute, moyenne et basse justice, hommages, vassaux, dépendances et appartenances pour le prix de 14'000 écus d'or au coin du roi de France, somme qu'il avait versée à Gruyère. L'acte de vente, passé à Oron-la-Ville le 25 mars 1402, est confirmé le 28 par le comte de Savoie qui accepte la transaction en tant que suzerain.
A la suite de ce marché, un grave incident faillit déclencher la guerre. Gaspard de Montmayeur remplissait en 1402 la haute charge de bailli de Vaud. En cette qualité, il délivra, à la demande du procureur de Vaud chargé de récupérer la créance, un passement contre le comte Rodolphe, le sommant de rembourser 20'000 écus d'or dus au comte de Savoie.
Le vieux souverain de Gruyère, endetté, sans argent, aigri, mécontent, déçu (il a perdu coup sur coup ses deux fils) ne l'entend pas de cette manière. Il appelle ses gens à la chevauchée et sans autre avis se jette sur Oron et Palézieux, pénètre de vive force dans les châteaux, et les pille. Devant cette agression qui suscite un gros émoi dans le pays, la cour de Savoie intervient immédiatement. Le suzerain reprend à lui les deux seigneuries, interdit toute hostilité aux adversaires pendant qu'on examine les causes de la querelle. Des amis communs offrent leurs bons offices et l'on soumet le différend à l'arbitrage de l'évêque de Lausanne et du chevalier Pierre de Dompierre. Les deux parties acceptent la sentence prononcée le 6 septembre 1402 qui rétablit " bonne paix, franche amitié et réconciliation sincère ". Le château d'Oron et la maison de Vevey reviennent bien entendu à leur légitime propriétaire, mais on réserve au comte de Gruyère et à ses héritiers la faculté de les racheter " quand il leur plaira ".
Il n'en est pas question pour l'instant et le comte, résigné, vend d'autres biens encore pour payer des dettes criardes, avec le consentement de sa bru Antoinette de Salins
Les tribulations de Rodolphe IV touchent à leur fin, puisqu'il meurt peu après, en 1403, abandonnant le gouvernement de ses Etats à son petit-fils Antoine, encore enfant.
Galant chevalier comme ses ancêtres, Antoine hérite d'une fâcheuse succession qui s'est encore détériorée durant sa minorité. Il tente, sans beaucoup de succès, de reprendre certains territoires perdus ou aliénés par le grand-père. Sans descendant direct, mais avec des bâtards en réserve, il fit légitimer par l'empereur deux de ses fils naturels François et Jean.
Incontestablement, François de Gruyère, qui assume la direction du comté à la mort d'Antoine, est le plus brillant souverain de cette famille. I1 parvient même à arrêter, pour un temps, la ruine qui menace son patrimoine. En 1457, il négocie le rachat du château et de la seigneurie d'Oron, appartenant alors à Françoise de Montmayeur, dame de Coppet, puis les transmet, par testament, à son fils cadet, avec le titre de François de Gruyère, baron d'Oron.
Oron réintègre ainsi le petit empire gruérien, après une éclipse d'une cinquantaine d'années, à la veille du conflit général qui se prépare: les guerres de Bourgogne.
Le comté ne pourra pas y échapper et sa position entre deux camps hostiles avec lesquels il entretient les meilleures relations ne manque pas d'être embarrassante et... inconfortable.
Les événements aideront le comte Louis de Gruyère et son frère François, baron d'Oron, qui ont repris le flambeau, à sortir de cette ambiguïté et à choisir leurs partenaires
En octobre 1475, sans tenir compte des traités existants, " les bandes suisses " s'emparent des villes, places fortes et châteaux du Pays de Vaud en l'absence de Jacques de Savoie, comte de Romont, baron de Vaud, auquel Berne a déclaré la guerre. Dépouillé de ses terres, ce dernier les reconquiert dès le début de l'année suivante, en avant-garde de la formidable armée de Charles le Hardi qui s'avance pour " châtier les Suisses ", prudemment repliés d'un peu partout. Prenant fait et cause pour un noble Bourguignon, Guillaume de Vergy, seigneur de Champvent et Montricher, descendant des Gruyère par sa grand-mère, qui revendique la possession du comté en contestant la légitimité des souverains actuels, il attaque les seigneuries d'Aubonne, d'Oron et de Palézieux. Les châteaux sont pris, occupés par des garnisons, les terres ravagées, les habitants rançonnés.
Devant cette menace précise, Louis et François de Gruyère se joindront donc aux Confédérés et la bannière de gueules à la grue d'argent flottera auprès de celles des cantons.
Les mesures de défense de leur patrimoine les empêcheront de rallier Grandson, mais ils seront à Morat avec leur contingent le 22 juin 1476. Le lundi 24, ils quittent leurs alliés et, suivis de volontaires allemands, de Valaisans et d'Ormonans, ils regagnent leurs foyers. Arrivée à Bulle, la petite troupe se laisse facilement convaincre de continuer sa route sur Oron et Palézieux, " encore au pouvoir de l'ennemi "; il n'en est rien puisque les garnisons, averties de la déroute, s'étaient retirées; aussi les châteaux sont-ils repris sans coup férir. Sachant Lausanne sans défense, la bande s'y précipite le mercredi matin, la pille sans vergogne et la quitte chargée de butin.
Des détachements bernois, avertis de cette incursion, envoient un contingent sous le prétexte de protéger la cité. Furieux d'avoir été devancés, malgré des ordres stricts de leurs chefs, les " Allemands " s'emparent de tout ce qui avait échappé à la cupidité des premiers venus...
A la guerre comme à la guerre, on ne tint pas rigueur aux Gruériens de leur aventure lausannoise. Rentrés en possession de leurs biens, le comte Louis et le baron François se mêlèrent activement aux suites de cette tourmente qui changeait la face de l'Europe, mettant au service des belligérants des talents diplomatiques et militaires incontestables.
François d'Oron, après cette vie mouvementée, se retire en son château pour y soigner sa fatigue et ses blessures Conseiller et chambellan de la cour de Savoie, il a reçu en récompense de ses mérites une pension de 600 florins et la livrée de quatre personnes et quatre chevaux. Ces Messieurs de Fribourg, qui l'ont en haute estime, malgré quelques petites brouilles passagères, prient " leur bon voisin et grand ami ", dans une lettre du 22 octobre 1495, " de ménager ses forces et soigner sa santé ".
Décédé en 1492 le comte Louis son frère n'avait pour successeur qu'un fils, François, âgé de 10 ans. Le baron d'Oron remplit alors le rôle de guide et de conseiller familial auprès de Claude de Seyssel, régente de Gruyère. Sa douleur dut être bien vive quand ce neveu disparut prématurément en 1499. Au terme de son existence, malade, affaibli, Monsieur d'Oron prit le titre et l'office de comte de Gruyère; pas pour longtemps, car il s'éteignit au début de l'année 1500, sans descendant légitime, et avec lui la branche aînée masculine de Gruyère.
Durant la vive dispute qui met aux prises les prétendants au trône comtal, par mesure de précaution, Berne et Fribourg envoient provisoirement une garnison au château d'Oron. Non sans mal, Jean de Montsalvens, issu d'une branche cadette, l'emporte sur son adversaire, Mademoiselle de Gruyère, Hélène, fille du comte Louis, et s'installe à la tête du comté.
Il s'efforce, avec l'aide de ses vassaux, châtelains et sujets, d'enrayer une décadence qui s'accentue de jour en jour, aggravée par des procès ruineux et des obstacles de tous ordres, sans compter les déprédations commises par des bandes d'aventuriers qui désolent tout le pays.
Le comte Jean 1er de Gruyère achève sa carrière en 1514 laissant à ses deux fils légitimes Jean et Jacques une bien lourde charge.
Jean II, comte de Gruyère, seigneur d'Oron et de Palézieux, outre ses lancinantes préoccupations financières, aura des problèmes supplémentaires d'une importance capitale à résoudre en raison de l'introduction de la réforme religieuse, des démêlés entre les Confédérés et la Savoie, puis de l'occupation du Pays de Vaud par les Bernois. Sa position s'avère aussi bien délicate en face de deux voisins puissants dont l'un, Berne, adopte les idées nouvelles alors que l'autre, Fribourg, conserve la foi catholique, tous deux combourgeois, alliés et surtout...créanciers.
Demeuré fidèle à la religion de ses pères, il essaie de s'opposer à l'extension de la Réforme sur ses terres alors que LL.EE. de Berne tentent de l'implanter partout. Il s'attire de fermes remontrances à plusieurs reprises, en particulier au sujet d'une " crye " par laquelle il menaçait de châtiments sévères " ceux qui seroient de la foy luthérienne ou qui maintiendroient icelle foy " en sa seigneurie d'Oron.
Après l'assemblée des Etats de Vaud à Morges, le duc Charles de Savoie s'en vient dîner au château d'Oron, le 13 juin 1532, accompagné d'un brillant cortège de gentilshommes, non point tant pour le plaisir de deviser et festoyer avec son fidèle conseiller et vassal, dit la chronique, mais plutôt pour envisager les mesures à prendre en cas d'attaque, comme celles propres à combattre le luthéranisme et empêcher sa propagation en Gruyère.
Au mépris du traité de Saint-Julien, le duc tente de surprendre Genève en juillet 1534. Berne saisit ce prétexte pour préparer une expédition contre la Savoie et lui déclare la guerre le 16 janvier 1536. Menacé par cette invasion imminente, Jean II ayant appris... que Messieurs de Berne allaient en fait d'armes aider à la cité de Genève, il les priait d'épargner les maisons, villes et villages qu'il avait sur leur chemin, entre autres sa maison forte et le village d'Oron... (19 janvier 1536).
LL.EE. respectèrent la prière du comte, elles exigèrent par contre, après leur campagne victorieuse, sa soumission et l'acceptation de leur suzeraineté en lieu et place de celle de la Savoie. Après de longs pourparlers, Gruyère doit s'incliner et dans une charte du I7 mai 1537, Jean II se reconnaît sous la foi du serment homme lige et vassal des " seigneurs messieurs ladvoyer et conseil de Berne " et tenir d'eux ses seigneuries du Pays de Vaud; il obtient toutefois une dispense pour la vie de tout hommage pour le comté de Gruyère et la seigneurie de Palézieux. La baronnie d'Oron reste franche " sans rien luy demander sus icelle, ores ny pour ladvenir, pour aultant que navons trove aucunlgs droys sus ladite seignorie ".
Cet accord politique ne règle pas la question religieuse, plus que jamais actuelle, dans cette juridiction qui comprenait le couvent de Haut-Crêt maintenant abandonné. Châtillens a accepté la Réforme mais son église, qui a pu conserver ses images, est fermée. Or elle contient celle, miraculeuse, de saint Pancrace, patron de la paroisse, qui a la réputation de ressusciter les enfants morts sans baptême pour le temps de leur administrer ce sacrement. I1 convient de la sauver de la profanation, elle est donc transférée, sur ordre du comte, dans sa chapelle d'Oron qui devient alors un centre de pèlerinage comme l'était Châtillens autrefois. Catholiques ou nouveaux convertis, ils s'en viennent nombreux, d'un peu partout, implorer l'assistance du saint, au grand déplaisir de ces Messieurs de Berne qui ne sauraient tolérer de telles pratiques. Ils vont y mettre fin par une nouvelle et importante convention qui, en plus de quelques concessions en leur faveur, introduit officiellement la Réformation à Oron sans que le comte puisse valablement s'y opposer (1539)
Après d'autres déboires encore, il arrive au terme de ses soucis, ainsi que l'écrit Pierrefleur en 1539: " Sur la fin du mois de novembre mourust en Gruyère noble et puissant seigneur Jean II conte dudit Gruyère, lequel avant sa mort eust beaucoup de peine et fascherie, tant à cause du changement des seigneuries que aussi des changemens de Religion. "
Avec l'avènement du fameux comte Michel, son fils et successeur, les choses vont se précipiter. Enfant d'honneur, puis page à la cour du roi de France François 1er, il reçoit une éducation de prince dont il garde les apparences mais peu de qualités.
Inconstant, ambitieux, frivole, beau cavalier, il partage sa vie entre ses aventures galantes ou guerrières et une lutte incessante contre des créanciers nombreux qui se multiplient encore. Il emprunte tant qu'il trouve des prêteurs, mais entre ses mains l'argent fond comme neige au soleil tant il est " mauvais mesnager ".
Il est impossible de le suivre ici dans le maquis de ses tractations financières, de ses intrigues en tout genre et de ses démêlés avec le roi de France. Il s'occupe aussi, durant de longues années, dans des rapports parfois tendus avec Berne et Fribourg, de l'hommage qu'il doit pour la plupart de ses seigneuries. Il le refuse naturellement en invoquant des chartes qu'il ne connaît souvent qu'imparfaitement, selon son propre aveu.
A la diète des 13 cantons suisses réunie à Baden le 16 mars 1548, le comté de Gruyère et la seigneurie d'Oron sont admis au sein du pays des Ligues: " Les tegnans et recognoissans estre Suysses (Eydtgnossen) comme nous. "
La vie agitée du comte Michel n'allait pas manquer d'altérer sa santé; aussi n'est-il point étonnant de le trouver en avril 1551" tellement refrappé de maladie qu'il dut se faire saigner en grande hâte et continuer certaines médecines pour essayer si, par ce moyen, il plairait au Créateur de lui rendre la santé. " Les médecins lui conseillent un séjour à Oron " affin de se desvelopper de la fiebvre qui ne le vouloit abandonner. "
Un litige sérieux surgit, peu avant la déconfiture totale, entre Fribourg et Berne à propos de la baronnie d'Oron. Craignant de ne point récupérer des sommes prêtées, le Conseil de Fribourg avait ordonné à son bailli de Romont et au châtelain de Rue de s'emparer des châteaux d'Oron et de Palézieux pour garantir les créances Après avoir essuyé un premier refus de la part du châtelain Antoine Doges de livrer l'édifice confié à sa garde, les deux officiers revinrent à la charge le 29 novembre 1553 et prirent possession des deux seigneuries " par signes de logement de leurs chevaulz en lestable du chastel de Horon ".
Le gouverneur bernois de Haut-Crêt et son compatriote le bailli de Moudon interviennent aussitôt, prient les occupants de s'en retourner et demandent aux commissaires fribourgeois de bien vouloir " user par train de justice " pour faire valoir leurs droits, car eux en ont aussi et offrent " d'en faire décentement aparoistre ".
Pour éviter le retour d'un tel incident, le bailli de Moudon installe une garnison dans le château.
L'affaire s'arrête là, mais Berne en profite pour régler définitivement la question de l'hommage qui lui est dû pour cette baronnie en proclamant le comte homme lige de leur ville, par contumace, le 7 décembre 1553, sentence bien inutile tant la faillite est proche.
Madeleine de Miolans, veuve de François, baron d'Alègre, épouse Michel en décembre 1553, connaissant ses embarras financiers. Sa générosité et son dévouement ne peuvent sauver une situation désespérée et ses sollicitations tant épistolaires que verbales - elle se présente personnellement devant la diète de Baden en 1554 pour implorer la protection du dernier représentant de l'illustre maison - ne sauraient suffire à empêcher le dénouement fatal.
Le 9 novembre 1554, les commissaires de la diète, chargés de régler la liquidation, attribuent le comté de Gruyère, avec toutes ses dépendances, aux créanciers du comte Michel. Les villes de Berne et de Fribourg s'entendent pour dédommager les autres prêteurs et se répartissent les dépouilles.
Afin d'éviter toute contestation dans ce partage, elles renoncent à la seigneurie d'Oron, convoitée par toutes les deux, pour la laisser à d'autres créanciers.
Le jour même de sa déchéance, à 10 heures du soir, le comte quitte à jamais le manoir de ses pères pour se retirer dans son dernier fief, le château d'Oron, où la comtesse l'a précédé, " ayant trouvé le logis bien froid et mal fourni de vivres " écrit-elle le 12 décembre 1554; on la croit sans peine. Son époux a déjà quitté ce cadre si peu adapté à ses titres et à son orgueil. Par une lettre du 8 décembre, en provenance de Varembon, en Bresse, il recommande ses affaires à Messieurs de Berne. Sa femme ne tarde pas à le rejoindre après avoir tout tenté, une fois encore, pour garder le peu de biens qui restaient à son seigneur et mari.
Hypothéquée pour sept mille deux cents florins du Rhin à l'Etat d'Unterwaldle-Haut, la baronnie fut saisie au début de juillet 1555 avec expédition de la clef " aux prénommés instans, ainsyn quest de coutume fayre en tel cas ", puis offerte en mise publique au marché de Moudon
Hans Steiger, bourgeois de Berne, trésorier général du Pays de Vaud, l'achète le 27 juillet 1555 pour le prix de " cinq mille quatre cens escus d'or du coing de France principal et quatorze cent quarante huict escus de cense et despens legitimes ".
Une page s'est tournée pour Oron. Seul Michel, plein d'illusions, croit en son prochain retour, importunant parents, amis, connaissances, anciens alliés par d'incessantes démarches pour obtenir la rétrocession de ses biens. En 1570, il écrit de Spire " aux châtelain, banneret et à ses bons sujets de la terre d'Oron pour les instruire de la demande qu'il adressait à Berne et à Fribourg et de l'espoir qu'il avait de rentrer en possession de ses terres... il n'avait point cessé d'être leur affectionné seigneur qui priait Dieu de lui permettre de bientôt boire un coup avec eux. "
Le nouveau baron d'Oron, grand amateur de seigneuries vaudoises, il en possédait une dizaine environ, n'avait pas attendu si longtemps. L'année suivant son achat, il avait remis tous ses droits sur Oron et Palézieux à la ville de Berne qui, joignant ses seigneuries aux terres de l'Abbaye de Haut-Crêt, désaffectée dès 1536, en avait formé le bailliage d'Oron, avec, à sa direction, German Jentsch, jusqu'alors gouverneur de Haut-Crêt, qui fut installé au château le 1er août 1557 en qualité de premier bailli de LL.EE.
Les armoiries des Miolans, dans la salle des gardes, rappellent le souvenir de l'admirable et courageuse Madeleine qui quitta cette terre en 1564, après avoir légué une partie de sa fortune à son époux; Michel termina sa course en mars 1576 dans le château bourguignon d'un cousin qui l'avait recueilli. Ainsi finit, dans un état voisin de la pauvreté, ce prince et comte de Gruyère, chevalier de l'Ordre du roi de France, baron de Montsalvens, d'Oron, d'Aubonne, seigneur du Vanel ou de Gessenay, de Rougemont, de Château-d'Oex, de la Tour de Trême, de Corbières, de Palézieux, de Bourjod, de Corsier, de Mont-le-Vieux, de Rolle et de Coppet, baron de Divonne et de la Bâtie...
Dans la chronique de Pierrefleur, on lit tout simplement: " Michel se gouverna si bien qu'il luy fallut habandonner le pays pour debtes et se retirer au conté de Bourgogne, et depuis en France sur les biens de sa femme. "
Si la terre d'Oron pouvait se flatter d'avoir été achetée et non conquise, d'être la plus ancienne communauté vaudoise admise sans contrainte au sein des Ligues, cela n'avait que bien peu d'importance car, ici comme ailleurs, le nouveau régime amenait d'autres maîtres devant lesquels il fallait aussi ployer le genou.
Sérieusement remis en état, en peu de temps, par Hans Steiger qui en avait les moyens, le château d'Oron est prêt pour accueillir " le très Noble, très Magnifique et très Vertueux Seigneur Baillif " envoyé par Berne. De1557 à 1798, sans interruption, tous les six ans selon la coutume, ils seront 43 à s'y succéder, plusieurs d'entre eux y achèveront leur voyage terrestre.
Ces magistrats, le plus souvent anciens militaires choisis dans la noblesse patricienne, cumulent les fonctions législatives, judiciaires, administratives et militaires; ils représentent l'autorité dans tous ces domaines, incarnation vivante et tangible du souverain pouvoir.
Mandataires d'un gouvernement autoritaire qui témoigne une sollicitude toute paternelle à ses fidèles sujets selon les apologistes, mesquine et tracassière d'après les mécontents, ils introduisent dans leur circonscription une ère de bien-être apparent par une administration tatillonne et prudemment ordonnée. Ils s'ingénient à obtenir, par une sage économie, le meilleur rendement des domaines exploités, abandonnant en habiles politiciens, quelques petites libertés soigneusement contrôlées. Avec une scrupuleuse honnêteté, ils veillent à l'application des ordonnances et mandats souverains dont les avoyers et conseils de Berne inondent le pays. Chaque année, avec le soin de comptables avertis, ils dressent la liste des recettes et dépenses, droits et redevances de leur petit royaume
Ils ont la haute main sur l'Eglise et l'école, surveillent la fréquentation des prêches, la participation à la sainte cène, la connaissance du catéchisme. Ils s'inquiètent tout particulièrement des murs qu'ils veulent bonnes, conformes à l'enseignement des écritures et à une morale stricte dont leurs maîtres à penser ont élaboré le code.
Ils invitent leurs amis, reçoivent leurs humbles sujets, écoutent ou étudient leurs suppliques aux formules obséquieuses, admonestent, remettent à l'ordre, adoucissent parfois, dans une faible mesure bien sûr, les peines infligées par les cours de justice ou le Vénérable Consistoire.
Les tribunaux de toutes espèces foisonnent et la manie des procès allant de pair avec le goût des titres chez les Vaudois, on ne se prive pas d'en profiter puisqu'on a pour ainsi dire la justice sous la main. Elle ne paraît pas échapper à toute critique si l'on en croit ces réflexions d'un particulier de Chesalles, en I68I, à propos d'un procès qu'il avait dû soutenir: " ... que s'il allait vers le diable, il lui feroyt aussi bonne justice et que le baillif d'Oron et qui n'entendait non plus la justice qu'un pourceau... " ou cette appréciation, plus nuancée mais plus autorisée d'un membre du gouvernement bernois: " N'ont-ils pas des dés au Pays de Vaud pour jeter au sort leurs procès plutôt que de les porter à Berne ? "
Le bailli d'Oron préside ou contrôle six cours de justice dont une vassale de Saint-Maurice. L'autorité judiciaire, solidement organisée, avec pour lois criminelles de base le code impérial de Charles Quint (Caroline), modifié cependant par les coutumiers régionaux, frappe lourdement.
Les infractions et délits connaissent des punitions exemplaires selon leur gravité, allant du pilori à l'échafaud, au gibet ou à la roue en passant par la bâtonnade, le fouet et les travaux forcés, avec, si nécessaire, la redoutable " question " ou estrapade lors des interrogatoires.
Tous les condamnés ne bénéficient pas de la clémence dont usa un bailli d'Oron envers le pauvre Prodoillet, ainsi que le narre Alfred Cérésole. Le malheureux, la veille de son exécution - il a outragé gravement LL.EE. - comparaît devant le bailli qui, mis de belle humeur par la naissance d'un garçon, lui promet de satisfaire son dernier désir. Un bon repas ? Un pot de vin? Une pipe ? Pas du tout: notre homme demande de pouvoir apprendre l'allemand. " Apprendre l'allemand, un Vaudois! " s'écrie le bailli étonné et ému. Le gaillard partit aussitôt pour Bümplitz, mais l'anecdote ne dit pas ce qu'il est devenu.
Le Vénérable Consistoire, cour semi-ecclésiastique, s'occupe particulièrement de la police des murs. Par ses compétences multiples, il se trouve en relations fréquentes avec la population.
Dans chaque village, un agent assermenté, le garde du Consistoire, dénonce tous les événements suspects; en outre, la délation, soigneusement encouragée, met chacun à la merci de ces justiciers. Nul ne pouvait se vanter de n'être point cité à sa barre, un bailli même dut s'y présenter.
Le Consistoire manifeste une sévérité incroyable relativement à l'observation du dimanche et au respect dû au service religieux, il intervient avec vigueur contre tous les divertissements, la mode, la danse, l'ivrognerie, le tabac, les jurements et blasphèmes, les injures, les batteries et autres scandales, sans compter les affaires de murs qui tiennent une large place dans ses délibérations. I1 se montre intransigeant sur le chapitre de la religion car LL.EE. craignent, dans ce bailliage voisin de Fribourg, l'influence du catholicisme sur leurs sujets qui " pourraient prêter l'oreille à l'idolâtrie et superstition papale".
Les manuaux que cette Chambre nous a laissés témoignent de son zèle, illustré par ces quelques exemples: Le 24 janvier 1651, elle inflige dix florins de ban et quinze batz pour les droits de "comparaissance " à Pierre Sonnay parce que " le prestre de Saint-Martin se doibt estre venu trouver en sa maison avecq quelque chandelle et faire la quelque office ".
Le 3 août 1683, plusieurs femmes sont condamnées à l'amende pour " avoir esté à la Rogevue à la Sainte-Anne, à la bénisson des saugettes ". Elles ont aussi confessé " avoir sauté dans une planche " (dansé dans un pré).
Le 26 novembre 1666, un ménestrel de passage, cité pour avoir joué du violon " en la maison de David Blanchoud, son beau-père, de nuict et la attiré les quelconques et damoyselles avecq les servantes du château", est invité "à vuider promptement le lieu avecq sa femme... "
La luge même ne trouve pas grâce devant ces redresseurs de torts puisque le mardi 4 février 1744 les servantes du château et des jeunes gens sont condamnés à dix-sept baches d'amende et une bonne censure pour le " scandale qu'ils ont donné en rodans et se lugeans par les chemins a des heures indues... "
Bailliage de 3e classe, Oron qui s'étendait sur une contrée forestière, agricole et vinicole - il possédait la plupart des vignobles de Haut-Crêt sur les bords du Léman, en particulier une partie du Dézaley et le Burignon - rapportait au XVIIIe siècle 12'500 livres par an à son titulaire; celui-ci avait en outre la jouissance du château, du domaine en dépendant, avec tous les droits et corvées, d'un affouage considérable; il recevait également les présents et cadeaux des communes ou des particuliers qui sollicitaient ou obtenaient des franchises ou des fonctions car, bien qu'interdits, les pots de vin et autres " attentions " ne rendaient pas moins leurs petits services.
Parmi les nombreux baillis qui résidèrent à Oron, il convient de signaler Sulpice Wurstemberger (1557) qui légua probablement ses armoiries, quelque peu modifiées, à la commune d'Oron-la-Ville et au district; Gabriel de Watteville dont la fille cadette, Catherine, qui passa cinq ans de son enfance au château, connut un destin exceptionnel sous le règne de Louis XIV en tant qu'informatrice à la solde de l'ambassadeur de France à Soleure.
Le vieux général Jean de Saconnay, vainqueur de Villmergen, protecteur et ami de Davel qui habitait précisément le manoir au moment de l'arrestation et de l'exécution du major. Sa correspondance prouve qu'il n'apprécia pas du tout l'action du rebelle; Madame la baillive " s'est même mise au lit quand on lui a dit la nouvelle ".
François-Christophe d'Engel, géographe et économiste, qui avait introduit la culture de la pomme de terre à la Côte.
Il est à remarquer que les droits et les terres que l'Abbaye de Saint-Maurice possédait encore dans la région, parfaitement reconnus et respectés par Berne, se maintinrent jusqu'en 1675, date d'un accord et d'une renonciation générale de la part des chanoines en faveur de LL.EE.
Les châteaux, dès le milieu du XVIe siècle, perdent leur valeur sur le plan militaire. Les baillis d'Oron vont donc transformer peu à peu le leur, en suivant l'évolution générale, en une demeure sinon confortable, du moins plus agréable à habiter. Ils en améliorent l'accès, démantèlent les ouvrages de défense extérieure, construisent des écuries et des dépendances plus vastes, agrandissent les appartements, aménagent des chambres partout où ils le peuvent, jusque dans les combles et le donjon, ils édifient même, hygiène oblige, une sorte de tour destinée à abriter des lieux d'aisance.
L'influence française se manifeste dès le XVIIIe siècle par des réalisations un peu plus élégantes. Les murs, à l'intérieur des pièces, se couvrent de boiseries, des poêles de faïence remplacent les cheminées, les fenêtres s'élargissent en créant de belles embrasures alors que disparaissent les meurtrières. Ces modifications assez profondes exécutées le plus souvent avec un grand souci d'économie, apportent cependant, en plus d'un confort tout relatif, un aspect plus plaisant et plus raffiné à ces logements austères.
Vers la fin du siècle des Lumières, quelques velléités de résistance ou de mauvaise humeur, bien timides naturellement, et rapidement réprimées, dénotent toutefois que la servitude se supporte de plus en plus malaisément. Les échos de la Révolution française ébranlent certains esprits jusqu'à Oron.
On assure LL.EE. d'une loyauté indéfectible, d'un zèle constant, d'un dévouement inébranlable. Cependant, avec une prudence extrême, des patriotes prêtent l'oreille à ceux qui demandent plus que le redressement des abus, I'indépendance et la liberté. Les démonstrations officielles de fidélité des autorités constituées ne reflètent plus l'opinion de tous, bien que les milices obéissent encore aux ordres de Berne.
La protection promise par les troupes françaises de Ménard permettent la proclamation de l'indépendance vaudoise le 24 janvier 1798. Cette rapide décision plonge le comité révolutionnaire d'Oron dans un cruel embarras: il s'agit de signifier sa déchéance au bailli et de l'inviter à regagner sa patrie, démarche peu facile pour ces braves gens, car le colonel Jean-Rodolphe de Mulinen, homme affable et cultivé, s'était concilié l'estime et le respect de ses administrés durant son séjour à Oron.
Trois membres sont désignés pour monter au château où ils sont reçus avec une bienveillance résignée. Coupant court aux précautions oratoires du porteparole, le bailli, averti secrètement de cette visite la nuit précédente, déclare: " Depuis quelque temps, je m'attendais à ce qui arrive aujourd'hui; je quitte la contrée en faisant des vux pour sa prospérité et j'espère que mon départ pourra s'effectuer sans danger pour les personnes de ma maison. "
Le lendemain, il prend la route de Berne en passant par Fribourg, avec sa famille et son personnel, traverse le bourg d'Oron où la milice, sous les armes, lui rend les honneurs accoutumés, marquant ainsi le respect qu'elle gardait à ce magistrat. Les notables l'accompagnent un bout de chemin et lui font de touchants adieux.
Aussitôt après ce départ émouvant, des exaltés s'en viennent planter un arbre de liberté devant l'ancienne résidence baillivale avec une devise révolutionnaire composée par le régent Pernet qui les dirige. Ils pillent ensuite la cuisine et la cave, martèlent ou détruisent les écussons et mènent grand scandale malgré les énergiques protestations de l'intendant Voruz rentré au château avec le jeune précepteur Karl-Jakob Durheim pour assurer la protection des biens de leur maître.
Des citoyens plus modérés, appelés à la rescousse, parviennent à calmer les révolutionnaires et font placer une garde armée pour surveiller l'édifice.
Durheim qui a refusé d'arborer la cocarde verte officielle est conduit devant un pseudo-tribunal, mais grâce à l'intervention de ses amis, l'affaire tourne à la farce, le prévenu est libéré. Pour lui éviter de futures tracasseries, quelques demoiselles de sa connaissance lui offrent si gracieusement cet insigne fabriqué de leurs mains qu'il ne résistera pas à ce geste charmant. Il est encore plus surpris le lendemain en voyant arriver au château les attelages nécessaires mis gratuitement à disposition par une décision communale pour le transport de tout ce qui appartenait à la famille de Mulinen. Il peut enfin rejoindre les siens avec une joie non dissimulée comme il l'écrira plus tard dans le livre où il raconte ses souvenirs. Son séjour à Oron y tient une place importante et il relate, en témoin attentif, les menus faits de la vie quotidienne dans le château d'Oron durant cette période intéressante
Peu après l'entrée des armées françaises en Suisse et la chute de l'ancienne Confédération, le château est décrété bien national par le gouvernement de la République helvétique. Il est bientôt transformé en prison militaire où sont logés les soldats pris lors des combats entre les résistants et les troupes d'occupation.
En juin 1799, le lieutenant Dupraz, commandant au ci-devant château d'Oron demande, par l'intermédiaire du citoyen préfet du canton du Léman, un renfort pour doubler ses gardes, vu l'augmentation du nombre des prisonniers. Le ministre de la guerre Lanther le lui refuse, les captifs devant être jugés sous peu par les membres d'un conseil auxiliaire qui viendra sur place. Beaucoup n'attendront pas, évidemment; ils s'évadent vers la mi-juillet " au moyen de leurs draps faits en lambeaux ". D'autres les imitent un peu plus tard et prennent la clef des champs en compagnie de leurs gardiens. Quelques-uns ne sont pas partis, plusieurs sont repris et ramenés.
Le sous-préfet national écrit: " ... ils me paraissent l'élite des hommes de la Suisse... " et trouve " que c'est grand dommage les circonstances qui les égarent et qui altèrent les liens de fraternité qui doivent régner entre nous ". Il s'agit surtout de Valaisans et d'Oberlandais, de Fribourgeois aussi, dont l'un a gratté le crépi dans la salle de justice avec un instrument rudimentaire pour tracer la silhouette approximative de sa ville où elle figure encore, abîmée certes, mais bien reconnaissable.
A la fin d'août 1799, toute la gent militaire, tant gardiens que gardés, s'en est allée. Le tribunal a siégé, jugé et certainement... amnistié car le seul prisonnier restant, un dur à cuire sans doute, sera transféré à Chillon.
L'antique manoir des sires d'Oron tient lieu désormais de simple prison pour délinquants de droit commun sous la surveillance de " la maréchaussée " Burki qui fonctionne en qualité de gardien, de concierge et de geôlier.
Le temps de quelques rocambolesques évasions, et les soucis financiers obligent le Directoire de la Jeune République helvétique à se procurer de l'argent par tous les moyens dont le meilleur demeure la vente des biens nationaux
Dès le mois de septembre de l'an 1800, sur proposition de la Chambre administrative, on cherche preneur pour le château d'Oron. Sollicité de donner son opinion, le sous-préfet préavise favorablement en termes prudents:
" A tout prendre, comme cette énorme masse va dépérir et que l'usage qu'on en fera ne dédommagera pas des frais de maintenance, pour peu qu'on en puisse tirer parti, il peut être avantageux de s'en défaire en prenant le parti de faire un autre établissement moins considérable pour des prisons et pour loger un concierge. " Salut et respect Jean-Daniel Gilliéron
Dans un autre rapport, le même magistrat déclare: " Il me semble qu'il ne devrait guère plus coûter qu'une bonne maison de paysan qui peut aller de trois à quatre mille livres. "
Ces projets suscitent pas mal de remous et d'intrigues. La municipalité et quelques citoyens d'Oron déposent même une plainte contre le ministre des finances, Rothpletz, l'accusant de favoriser une vente clandestine. Ces " Messieurs " se font vertement remettre à l'ordre.
Par décret du 9 février 1801, le gouvernement helvétique, par la voix de son conseil législatif, ordonne la vente du château d'Oron et des terres en dépendant, dans le district d'Oron au canton du Léman pour la somme de 47'000 francs.
Jacques-Abram Roberti, avocat, ancien commandant de la ville de Moudon, l'achète par acte notarié du 21 août 1801.
Les archives, soigneusement classées par deux notables, le Dr Mellet et le curial Jan sont déposées dans le grenier du château, la " grenatterie ", pour être remises aux communes. Réunis en assemblée, leurs délégués décident de les brûler au Bosson de la Croix en mars 1803. Une petite partie fut sauvée miraculeusement de la destruction par Jan. Grâce à la générosité du peintre Théo Pasche qui les avait héritées, elles ont réintégré la bibliothèque du château.
Installée au manoir, la famille du fils, Julien Roberti, redonne vie à l'illustre demeure; elle y invite des amis choisis dans la bonne société. On joue, on papote, on suit l'ascension puis la chute de Napoléon.
Le futur philosophe Frédéric Frossard, né à la cure d'Oron, monte avec sa soeur Caroline s'ébattre en voisins dans la cour. La jeunesse vient y danser et s'amuser dans des bals très prisés. On crée dans la grenatterie une école primaire pour les enfants du village. Le lignite tiré des filons de la propriété est envoyé à Berne sur des chars pour alimenter l'usine à gaz. Roberti prend une part active aux affaires publiques en assumant les charges de syndic, de juge de paix et de président du Conseil général.
Le 8 décembre 1863, Edouard, fils de Julien, vend toutes les terres et les maisons constituant le domaine du château au notaire Auguste Bron, puis en août 1870, le monument lui-même, avec ses servitudes et dépendances, à un industriel lyonnais, Adolphe Gaiffe, d'origine alsacienne, établi à Paris.
Les Gaiffe en font une très belle résidence secondaire qu'ils meublent et arrangent avec soin et avec goût.
En 1932, le fils Daniel l'offre, avec le mobilier, les collections et ce qui reste du domaine à l'Etat de Vaud pour la somme de 250'000 francs. Malgré un préavis favorable d'une commission d'experts et du pouvoir exécutif, le Grand Conseil de ce canton refuse, dans sa séance du 5 juin 1934, d'entrer en matière sur le projet d'achat.
Sous l'impulsion de quelques citoyens audacieux et éclairés, dont Henri Kissling, une association se fonde aussitôt à Oron-la-Ville (11 juillet 1934) dans le but de sauver et de maintenir ce vénérable et magnifique témoin de notre passé. Assez rapidement, par souscription, vente de reproductions, loterie, elle se procure les fonds nécessaires à cette acquisition. Elle peut alors le 16 octobre 1936 acheter le château d'Oron pour le prix de 140'000 francs; elle se propose de le remettre en cadeau au canton de Vaud, mais le Grand Conseil, dans sa séance du 10 mai 1938, par 99 voix contre 40, n'accepte pas le don qui lui est fait. Par une étrange coïncidence, le Grand Conseil de Fribourg votait le même jour un crédit de 180'000 francs pour acheter le château de Gruyère.
L'association pour la conservation du château d'Oron prend alors ses responsabilités et s'organise en vue d'entretenir, de réparer et surtout de restaurer cette belle demeure médiévale qui connut tant de grandeur et de pauvreté.
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